Chapitre 34

De justesse

Lorsqu’ils arrivèrent, chacun dans leur véhicule, devant l’immeuble où se situaient les locaux de la police provinciale, Christian et Mélissa s’arrêtèrent un moment devant la porte d’entrée.

— Je veux bien faire un essai de sédentarisme, mais je préférerais qu’on n’en parle pas tout de suite au bureau, d’accord ? fit le célibataire endurci.

— Ça me va.

En adoptant son air préoccupé habituel, Christian traversa la grande salle où les agents répondaient au téléphone et s’occupaient des affaires quotidiennes. Exauçant son souhait, sa collègue le suivit quelques secondes plus tard. Malgré leurs efforts pour dissimuler leur nouvelle relation, tous souriaient sur leur passage. Mélissa entra dans son bureau, mais Christian s’arrêta net devant la porte du sien. Tous les murs étaient couverts de pentagrammes rouges ! Furieux, le policier pivota vers ses hommes.

— Qui est le plaisantin qui a refait ma décoration ? lança-t-il sur un ton qui n’entendait pas à rire.

Le silence tomba sur l’étage. Christian dirigea son regard vers ceux qu’il croyait capables de lui jouer un tour aussi cruel. Il n’y avait pourtant aucun sourire sur leur visage. Ils semblaient plutôt aussi surpris que lui. L’un d’eux alla même jusqu’à s’approcher de l’inspecteur et jeter un œil par-dessus son épaule.

— Je te jure que ce n’était pas là quand j’ai déposé ton courrier sur ton bureau, il y a à peine une heure, affirma-t-il, interloqué.

— Qui est arrivé après toi ?

— La plupart d’entre nous.

— Aucun étranger ?

— Personne n’a mis le pied dans ton bureau, Christian, affirma le plus vieux des agents.

Intriguée par la soudaine absence de bruit, Mélissa vint voir ce qui se passait.

— Écoutez-moi bien, lâcha son collègue en faisant de gros efforts pour rester calme. Je ne sévirai pas contre le farceur qui a barbouillé mes murs. Je veux juste savoir qui c’est. S’il ne veut pas se faire connaître devant les autres, j’apprécierais qu’il m’envoie un courriel m’expliquant le but de cette blague de mauvais goût.

— Et si c’était… commença Mélissa.

— Quelqu’un de l’extérieur ? la coupa Christian pour qu’elle ne se mette pas en plus à parler de sorcellerie devant ses subalternes.

La jeune femme comprit qu’il voulait la faire taire et se contenta de passer sous son bras pour entrer voir elle-même l’étendue des dommages dans le bureau. Christian la suivit et referma la porte pour que les autres n’entendent pas ce qu’ils avaient à se dire.

— Je ne voudrais surtout pas te faire peur, fit Mélissa, mais ces dessins sont absolument semblables à ceux qu’on a photographies sur ta maison.

— Quoi ? Il faut sortir d’ici tout de suite !

Il saisit sa collègue par le bras et voulut ouvrir la porte. Elle refusa de bouger ! Il lâcha Mélissa et s’attaqua à deux mains à la poignée, la secouant de toutes ses forces. Il tenta donc d’enfoncer la porte avec son épaule, puis avec ses pieds, pendant que Mélissa cherchait un objet capable de défoncer le bois. Voyant bien qu’il n’arrivait à rien, Christian se tourna vers sa compagne.

— Mets ta main sur mes yeux ! ordonna-t-il, au bord de la panique.

— Pourquoi ?

— Fais ce que je te dis !

Elle obtempéra. À son tour, Christian masqua les yeux de Mélissa.

— À quoi joues-tu ?

— Il ne faut pas regarder les symboles, même si on ne les comprend pas. Je n’ai pas envie qu’on se retrouve tous les deux sur un autel de sacrifices.

— Combien de temps conserverons-nous cette position palpitante ?

— Jusqu’à ce que quelqu’un nous délivre.

— Mais personne n’ose te déranger quand tu fermes ta porte. Pis encore, ils savent que tu travailles souvent jusqu’aux petites heures de la nuit.

— Alors, essayons autre chose. Je veux que tu cries à pleins poumons.

— Pourquoi pas toi ? s’étonna Mélissa.

— Parce qu’ils vont réagir beaucoup plus rapidement si c’est toi.

De la fumée commença à monter du plancher.

— Est-ce que tu sens la même chose que moi ? s’alarma Christian.

Mélissa, qui n’avait envie de mourir ni de la main de Desjardins, ni brûlée vive sur son lieu de travail, se mit à pousser des hurlements de terreur. Les agents réagirent sur-le-champ et foncèrent pour ouvrir la porte. Non seulement ils constatèrent qu’elle était bloquée, mais de la fumée s’échappait par le seuil. L’un d’eux eut la présence d’esprit d’aller chercher la hache enfermée dans une boîte de verre accrochée au mur. Il se mit aussitôt à l’abattre sur la paroi en bois qu’il défonça en quelques secondes.

Une dense fumée envahit immédiatement la grande salle et déclencha le système d’alarme. Couvrant son visage, un des agents plongea à l’intérieur et en sortit avec les deux inspecteurs, qui toussaient violemment. Des flammes jaillirent du bureau en même temps que les extincteurs automatiques se mettaient à arroser l’endroit. Les policiers se hâtèrent vers la sortie et attendirent les pompiers de l’autre côté de la rue.

Voyant que Christian et Mélissa avaient du mal à respirer, deux policiers parmi les plus expérimentés les firent monter à bord d’une auto-patrouille et les conduisirent de toute urgence à l’hôpital. Mélissa laissa les urgentistes faire leur travail, tandis que son collègue ne cherchait qu’à descendre de la table d’examen.

— Si vous ne me laissez pas terminer cet examen, je vous ferai ligoter, monsieur Pelletier, l’avertit le médecin.

Christian s’immobilisa et scruta le visage de l’intimidateur : ce n’était pas Desjardins.

— J’ai seulement avalé un peu de fumée…

— Au lieu de vous débattre, dites-moi plutôt ce qui vous est arrivé.

— Le satané sorcier a mis le feu à mon bureau pendant que j’étais dedans ! s’exclama Christian en regrettant aussitôt son choix de mots.

— Vous ne présentez aucune lésion ou détresse des voies respiratoires. Avez-vous eu des vertiges ou des vomissements avant d’arriver ici ?

— Non…

— Des convulsions ou des douleurs à la poitrine ?

— Non plus…

— N’a-t-on pas également incendié votre maison, il n’y a pas longtemps ?

— Les flammes l’ont consumée jusqu’au sol.

— Étiez-vous à l’intérieur de votre bureau ?

— J’ai été secouru juste à temps.

Le médecin examina ses yeux et lui fit deux prises de sang.

— À quand remonte votre dernier examen psychologique, monsieur Pelletier ? demanda-t-il tandis qu’il collait un petit pansement sur son bras.

— Êtes-vous en train d’insinuer que je suis un pyromane ?

— Je n’ai rien dit de tel.

— Alors sachez que quelqu’un essaie de me tuer, en ce moment.

— Un sorcier ? C’est bien ça ?

Christian se mordit la langue, pour ne pas lui dire crûment sa façon de penser.

— Vous pouvez vous rhabiller, monsieur Pelletier.

— Je n’ai pas besoin d’un psychologue, mais d’un garde du corps, grommela le policier tandis que l’urgentiste quittait la salle d’examen.

Irrité, Christian remit sa chemise et son veston, puis sortit de la pièce. Mélissa l’attendait, assise sur une chaise droite. Elle était pâle et abattue.

— Est-ce que ça va ? s’inquiéta son nouvel amant.

— La fumée n’a pas fait de dommage.

— Le médecin t’a-t-il posé des questions sur ta santé mentale ?

— Seulement sur la tienne.

Le visage de Christian s’empourpra.

— Desjardins est vraiment doué. S’il ne réussit pas à avoir ma peau, il va certainement me taire perdre mon emploi.

— Le service ne peut pas se passer d’un bon enquêteur. Il se pourrait, par contre, qu’on t’enlève tes dossiers pour t’en confier d’autres en prétendant que cette histoire de secte t’a atteint un peu trop personnellement.

— Est-ce de ma faute si nous avons affaire à un sorcier rancunier ?

— Ils n’aimeront pas non plus que tu t’associes à une bande d’amateurs qui se prennent pour des policiers.

— Une bande d’amateurs ? explosa Christian.

Mélissa lui saisit la manche et le tira à l’extérieur des urgences.

— Tu n’as aucune raison de te fâcher, l’avertit la jeune femme. Nous sommes tous inquiets de te voir agir de façon irrationnelle.

— Et toi ? Ça ne te trouble pas de fréquenter un homme qu’on juge instable mentalement ?

— Pas du tout. Je te connais mieux que toi-même. Mets-toi un peu à la place de nos patrons. Ils se posent de plus en plus de questions sur ton emploi du temps et sur ton implication dans cette affaire, qui ne regarde que les Kalinovsky.

— Quoi ? Ça fait deux fois que j’échappe de justesse à la mort ! Je ne suis pas un Kalinovsky, à ce que je sache !

— Calme-toi.

— Si je leur explique que je traque une gargouille volante et un assassin capable de piéger ses victimes en barbouillant leurs murs, je vais passer pour un fou.

— Et si tu prenais quelques semaines de vacances ?

— Je vais faire mieux que ça. Je vais donner ma démission.

— Ne sois pas stupide. Desjardins ne vaut pas la peine que tu ruines ta carrière de policier pour lui. Allez, viens. Nous allons marcher un peu avant d’appeler un taxi. Ça te donnera le temps de te défouler.

— Pour ça, il faudrait que je frappe sur quelque chose.

Elle l’obligea à avancer sur le trottoir, malgré ses grognements de mécontentement.

 

Le faucheur
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